Ampleur du phénomène selon des études récentes, va-t-on parvenir à en sortir ?
En fin 2017, l’affaire Weinstein éclatait au grand jour, éclaboussant tout le milieu du cinéma. Par la suite, un grand nombre de milieux ont vu apparaître des dénonciations pour harcèlement ou agression sexuelle. Plus récemment, une actrice française césarisée accusait un réalisateur de « harcèlement sexuel » et « comportements sexuels inappropriés » , alors qu’elle était encore mineure.
Les langues se sont ainsi déliées, notamment sur les réseaux sociaux.
Et qu’en est-il dans le milieu du travail ?
Selon la Confédération syndicale internationale citée dans un communiqué de presse sur le site carefrance.org , « près d’une femme sur deux a déjà été victime de harcèlement sexuel au travail » . En 2018, l’organisation CARE a réalisé une enquête sur ce phénomène, au sein de 8 pays. Selon cette enquête :
- « Près d’un homme sur quatre (23%) estime que le harcèlement sexuel au travail est acceptable, à savoir qu’il est parfois ou toujours acceptable pour un employeur de demander des contacts sexuels de ses employées.
- En Égypte, 62% des hommes pensent qu’il est normal de demander ou d’attendre des contacts sexuels de ses collègues.
- Aux États-Unis, 44% des hommes estiment qu’il n’y a pas de problème à faire une blague à caractère sexuel à une collègue.
- En Inde, 33% des hommes considèrent normal de siffler une collègue.
- Au Royaume-Uni, pincer les fesses d’une collègue « pour plaisanter » ne pose pas de problème pour 35% des hommes ».
Ces données, datant de 2018, ont de quoi interroger, le chemin à parcourir pour combattre et éliminer ce phénomène semble encore long.
Toujours en 2018, en France cette fois-ci, l’IFOP a réalisé une étude pour le site d’information et de conseils VieHealthy.com . Cette dernière avait pour visée de mesurer l’ampleur des différentes formes de harcèlement sexuel au travail et leur impact sur l’état de santé (physique, morale, sexuelle) des victimes.
Cette enquête a eu le mérite d’actualiser les données, les dernières datant de 2014.
Elle a également permis de mesurer l’ampleur des situations de harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail « tout en brisant certaines idées reçues sur les caractéristiques des victimes ou le profil type de leurs harceleurs » .
Un premier résultat, paru dans le volet 1 du rapport « Les Françaises et le harcèlement sexuel au travail » indique l’ampleur du phénomène.
Quand on demande aux femmes « Au cours de votre vie professionnelle, vous est-il arrivé sur votre lieu de travail… ? » en explicitant les situations relevant du harcèlement verbal / visuel, du harcèlement physique et du harcèlement psychologique à visées sexuelles, sans préciser qu’il s’agit de harcèlement sexuel au sens juridique du terme : 32% des femmes répondent qu’elles ont déjà été confrontées à au moins 1 situation de harcèlement sexuel sur son lieu de travail au sens juridique du terme.
Pour autant, seulement « 22% des femmes ont le sentiment d’avoir déjà fait face à une situation de harcèlement sexuel au travail au cours de leur activité professionnelle » .
Cela est analysé par l’enquête comme « le signe d’une méconnaissance de ce qui relève juridiquement ou non du harcèlement sexuel». Selon l’IFOP , ce chiffre n’augmente pas depuis les enquêtes de 2014 et 1991 .
Toujours selon cette étude, si plus de la moitié des femmes évoque à un tiers l’expérience de ces situations qui renvoient à du harcèlement sexuel au travail, elles le font plutôt à un proche ou à un collègue. Peu de femmes (seulement 7% à 16% selon les situations) se tournent vers un supérieur hiérarchique ou un représentant du personnel.
L’étude analyse cela comme le fait que peu de femmes finalement, adoptent des « stratégies actives » en signalant les situations auprès de personnes en capacité d’apporter une solution.
Si les langues se sont déliées et si le cadre règlementaire en matière de harcèlement sexuel et agissements sexistes s’est renforcé ces dernières années :
- La loi relative au harcèlement sexuel, du 6 août 2012, a notamment donné une nouvelle définition plus précise, sévère et prenant en compte un plus grand nombre de situations,
- La Loi Rebsamen relative au dialogue social et à l’emploi, du 17 août 2015, a par exemple promu une nouvelle mesure interdisant les agissements sexistes,
- La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, du 3 août 2018, a entre autres, introduit l’« outrage sexiste » et indiqué de nouveaux éléments dans la définition du harcèlement sexuel,
- La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, du 5 sept 2018, a notamment ajouté de nouvelles obligations : désignation d’un référent harcèlement sexuel et agissement sexiste, censé représenter une ressource supplémentaire pour les salariés, renforcement des informations à afficher, etc.
- Etc.
Remarques et interrogations
Les données récentes indiquent un phénomène touchant une proportion importante de femmes.
Des freins existent dans leur signalement et leur traitement : méconnaissance des situations relevant du harcèlement sexuel ou des agissements sexistes, sexisme ordinaire normalisé ou banalisé, signalement plutôt à des proches mais pas forcément à travers un process formalisé de traitement, etc.
Est-ce que les avancées permettront de combattre les stéréotypes sexistes encore entendus ou encore la banalisation de certains agissements, par exemple « ah ça y est, elle a ses règles » si une femme se permet de manifester son mécontentement, voire la méconnaissance de ce qu’est le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ?
Quels moyens seront alloués aux référents agissements sexistes dans les entreprises ?
Est-ce que cela permettra réellement de changer les mentalités et de lever les différents freins aux signalements ?
Article rédigé par
Maud AGOSTINI
Expert CSE – Psychologue du travail
Cabinet Physiofirm
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