Budget de fonctionnement : les lignes jaunes à ne pas franchir
D’un côté le fonctionnement, de l’autre les activités sociales et culturelles
Un budget, rien que pour le fonctionnement et l’exercice des attributions légales
Il est inutile de chercher dans le code du travail une liste des dépenses qui peuvent être imputées sur le budget de fonctionnement car il n’y en a pas. C’est au comité social et économique d’imputer ses dépenses sur le bon budget en appliquant les 2 principes suivants :
• tout ce qui a trait au fonctionnement et à l’exercice des missions légales du CSE, notamment celles se rapportant à la marche générale de l’entreprise et à la santé/sécurité, relève du budget de fonctionnement ;
• toute dépense liée à une activité qui doit profiter, directement ou indirectement, aux salariés de l’entreprise relève du budget des activités sociales et culturelles.
Il est donc interdit d’utiliser le budget de fonctionnement pour les activités sociales et culturelles.
Certains prestataires, qui savent que l’argent du budget de fonctionnement dort souvent à la banque, ont parfois tendance à embellir la réalité juridique en faisant croire au CSE qu’il peut sans problème utiliser sa subvention de fonctionnement pour une prestation qui relève en fait des activités sociales et culturelles. Ce genre de procédé, condamnable, peut se retourner contre le prestataire car, en trompant le CSE, il commet un vice du consentement et s’expose à une annulation pure et simple de son contrat pour manœuvres dolosives (CA Versailles, 1re ch., 9 févr. 2021, n° 19/03060). Dans cette affaire, le prestataire avait fait croire que l’achat d’un site internet devant essentiellement permettre aux salariés d’accéder à une billetterie pouvait être financé avec le budget de fonctionnement. Le commercial avait avancé l’argument de la communication !
Concrètement, le budget de fonctionnement va notamment servir à couvrir les dépenses courantes de fonctionnement du CSE, à payer les prestataires chargés d’accompagner le comité social et économique (comptabilité du comité, rédaction des PV de réunion, assistance juridique, communication du CSE, etc.), acheter de la documentation technique ou juridique (code du travail, revue en santé/sécurité, actualité en droit du travail, etc.) ou encore payer des formations aux membres du CSE (voir encadré, p. 6).
Une seule exception à la séparation des deux budgets du CSE
Le CSE peut décider « de transférer une partie du montant de l’excédent annuel du budget de fonctionnement au financement des activités sociales et culturelles » (article L. 2315-61).
Ce transfert ne peut pas aller au-delà de 10 %de l’excédent annuel (article R. 2315-31-1).
On ne peut transférer que l’excédent annuel, ce qui signifie que l’on doit attendre la clôture de l’exercice pour voir ce qui reste comme excédent en fin d’année. Par exemple, s’il reste 10 000 € à la fin de l’exercice comptable, le CSE ne pourra pas transférer plus de 1 000 €. Cela signifie aussi que le comité ne peut pas faire le calcul sur plusieurs années et transférer 10 % des sommes épargnées au titre du budget de fonctionnement.
La décision du comité d’opérer un tel transfert doit faire l’objet d’une délibération adoptée en réunion. La somme transférée et ses modalités d’utilisation doivent être inscrites dans les comptes annuels du CSE et dans son rapport annuel d’activité et de gestion.
C’est autorisé mais est-ce pour autant une bonne idée ? Pas certain du tout. Normalement, si le CSE n’a plus d’argent pour payer une partie d’une expertise qu’il avait pourtant l’obligation de cofinancer, c’est à l’employeur de payer 100 %de la facture (C. trav., art. L. 2315-80). Mais attention, pour qu’il puisse en être ainsi, le comité ne doit pas avoir opéré de transfert d’excédent du budget de fonctionnement vers celui des activités sociales et culturelles au cours des 3 années précédentes. En plus, si l’employeur a été obligé de payer 100 % de l’expertise, le comité social et économique ne pourra pas décider de transférer d’excédent du budget de fonctionnement au financement des activités sociales et culturelles pendant les 3 années suivantes (C. trav., art. L. 2315-61).
Et si la ligne jaune a quand même été franchie
La question qui se pose ici est de savoir ce qui pourrait se passer lorsque le CSE n’a pas respecté la règle de séparation des budgets et qu’il utilise son 0,2 pour couvrir des dépenses rapportant à ses ASC. Il faut donc essayer d’évaluer les risques encourus et déterminer les personnes qui pourraient contester.
L’employeur pourrait contester ! Ne l’oubliez pas, il est membre de droit du CSE, il a accès à la comptabilité du comité comme tout autre membre de l’instance. Si nécessaire, il pourrait invoquer l’existence d’un trouble manifestement illicite et demander en justice l’annulation d’une délibération par laquelle le comité a décidé d’utiliser son budget de fonctionnement pour financer des ASC. Le juge pourrait ainsi interdire au comité d’engager la dépense projetée, voire de réintégrer dans le budget de fonctionnement les sommes déjà utilisées à tort pour des activités sociales et culturelles.
Même s’ils sont rares, il y a déjà eu des cas de jurisprudence (Cass. soc., 20 oct. 2021, n° 20-14.578).
Au-delà des risques juridiques, l’utilisation à plus ou moins grande échelle du budget de fonctionnement pour couvrir des dépenses qui devraient normalement être imputées sur le budget des ASC peut être préjudiciable au comité social et économique et aux salariés. On ne le répétera jamais assez, le budget de fonctionnement doit permettre au comité d’exercer ses très nombreuses missions légales, notamment celles se rapportant à la défense de l’emploi et à la santé et la sécurité des salariés, en toute indépendance vis-à-vis de l’entreprise. Il prendrait le risque de s’affaiblir lui-même, ce qui dans certaines situations pourrait faire l’affaire de l’employeur.
Et du côté de l’Urssaf ? Quand elle « contrôle » le CSE, l’Urssaf vérifie que les salariés n’ont pas bénéficié d’un salaire déguisé ou d’un avantage en nature dans le cadre des activités sociales et culturelles et que le CSE a bien respecté les quelques règles d’exonération prévues pour les différentes ASC, notamment les conditions d’exonération des bons d’achat et des cadeaux en nature.
Sur un plan juridique, c’est l’entreprise qui est contrôlée et qui est destinataire de toutes les notifications liées à la procédure de contrôle Urssaf. Si redressement il y a au titre des ASC, c’est elle qui devra le payer, car elle est responsable du paiement des cotisations sociales. Ensuite, elle pourra éventuellement se retourner contre le CSE.
Contrairement à une idée reçue, le fait d’utiliser le budget de fonctionnement pour financer des activités sociales et culturelles n’accroît pas le risque de contrôle et de redressement.
Si l’Urssaf décide de redresser ce n’est pas parce que le CSE aura utilisé son budget de fonctionnement mais parce qu’il aura versé un salaire déguisé ou délivré un avantage en nature.
Enfin, il faut aussi penser à une éventuelle contestation émanant d’une organisation syndicale présente dans l’entreprise. Estimant que le CSE ne respecte pas la règle de séparation des budgets, un syndicat minoritaire pourrait selon nous agir en justice contre le comité social et économique.
D’un côté le CSE, de l’autre les syndicats
Même si tous les élus sont syndiqués, il ne faut pas confondre CSE et syndicat. Ainsi, Le comité social et économique ne peut pas allouer une subvention aux sections syndicales de l’entreprise, que celles-ci pourraient utiliser comme bon leur semble pour mener des actions de nature syndicale. Par exemple, le budget de fonctionnement ne pourrait pas servir à prendre des abonnements à de la presse syndicale au bénéfice de personnes extérieures au CSE (Cass. soc., 27 mars 2012, n° 11-10.825). Il faut vraiment rester dans les clous car l’utilisation du budget de fonctionnement à des fins syndicales pourrait même constituer un abus de confiance réprimé par le code pénal (TGI Lyon, ch. corr., 26 sept. 2013, n° 04000099102).
D’un côté les dépenses du CSE, de l’autre les dépenses personnelles
Il va enfin de soi que celui qui a signature sur les comptes du CSE, à savoir le trésorier, le secrétaire et leur éventuel adjoint respectif, ne doit pas se servir dans la caisse. Bien évidemment, le fait d’être membre d’un CSE et d’avoir signature sur ses comptes n’autorise pas à détourner l’argent du comité social et économique à des fins personnelles ou à l’utiliser à toute autre fin qui n’a rien à voir avec les missions légales d’un comité. C’est de l’abus de confiance qui expose son auteur à des poursuites pénales et à un licenciement, pour lequel l’employeur devra obtenir une autorisation de l’inspecteur du travail.
L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a accepté à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé. La peine encourue est de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende (article 314-1 du code pénal). Comme c’est un délit, les affaires d’abus de confiance sont jugées par le tribunal correctionnel.
Le CSE, victime de l’abus de confiance, pourra se constituer partie civile pour obtenir le remboursement des sommes détournées et le versement de dommages et intérêts. A condition que l’auteur de l’infraction soit solvable !
Des lois Auroux de 1982 à l’ordonnance Macron de 2017
Il aura fallu attendre 1982 pour que les comités d’entreprise soient dotés d’un budget de fonctionnement. De 1945 à 1982, rien n’était prévu.
L’idée de Jean Auroux, alors ministre du travail après l’accession de la gauche au pouvoir, était de donner aux comités d’entreprise un minimum de moyens financiers, et donc d’autonomie par rapport à l’entreprise, pour leur permettre d’exercer leurs attributions économiques.
Même si le CE a disparu au profit du CSE, il est important de garder cette idée en tête pour ne pas être tenté de franchir la ligne jaune dans l’utilisation du budget de fonctionnement.
Il ne faut pas oublier que le comité social et économique est né de la fusion des anciennes instances représentatives du personnel et qu’il a un champ d’intervention très étendu. Il veille à la prise en compte par l’employeur de l’intérêt des salariés, il défend leurs conditions de travail, il fait remonter à l’employeur leurs réclamations, il participe à la prévention des risques professionnels et veille à la préservation de la santé des salariés, etc. Depuis pas longtemps, on lui demande de veiller aux conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise !
Plus que jamais, il a donc besoin d’un budget de fonctionnement pour remplir ses nombreuses missions.
Pensez à la formation !
Au-delà de la formation économique des élus titulaires du CSE et de la formation santé, sécurité et conditions de travail, qui peut être suivie par tous les membres du comité, il est important pour les représentants du personnel de se former tout au long de leur mandat.
Initiation au droit du travail, approfondissement des connaissances pratiques en matière de santé/sécurité et de prévention des risques professionnels, spécialisation de certains élus sur les questions financières et économiques… Compte tenu de l’étendue des compétences du CSE, qui a récupéré les attributions des anciennes du comité d’entreprise, du CHSCT et des délégués du personnel, il y a largement de quoi faire en matière de formation.
Le budget de fonctionnement est là pour ça !