Les mouvements de contestation que l’on observe actuellement dans les hôpitaux prouvent qu’il y a urgence à prendre en charge les risques professionnels que sont les risques psychosociaux.
Le principal enjeu dans la prise en compte de la souffrance au travail en milieu hospitalier est bien évidemment la préservation de la santé – physique et mentale – des personnels. Ceci relève de la responsabilité de tout employeur qui a une obligation de résultats en matière de protection de la santé des salariés. Le manquement à cette obligation POURRAIT PRENDRE le caractère d’une faute inexcusable.
Il existe une obligation pour tous les établissements d’avoir à mettre en place un diagnostic partagé des RPS qui devait être réalisé au cours de l’année 2014 permettant ainsi de conduire fin 2015 au plus tard à l’élaboration de propositions d’actions concrètes pour les prévenir. Une circulaire du 20 novembre 2014, rappelle aux établissements RELEVANT de la fonction publique hospitalière qu’ils doivent mettre en place un plan d’action pour la prévention des risques psychosociaux.
Une étude publiée le 26 février 2014 dans la revue médicale britannique The Lancet, établit un lien entre la surcharge de travail des infirmiers et l’augmentation de la mortalité dans 300 hôpitaux européens. (« Nurse staffing and education and hospital mortality in nine European countries : a retrospective observational study » sur le site de The Lancet).
Les infirmiers(ères) :
Les mesures de réorganisation ou de lean management très strictes lorsqu’elles sont prises en milieu hospitalier peuvent avoir de funestes conséquences. L’étude s’est attachée à évaluer l’impact d’une surcharge de travail des infirmiers ainsi que leur niveau de formation sur la survie de patients admis en chirurgie.
Les données d’hospitalisation de 422 730 patients âgés de 50 ans ou plus et opérés dans 300 hôpitaux de 9 pays européens (Belgique, Royaume-Uni, Finlande, Irlande, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède, Suisse). Ces patients ont subi des opérations courantes comme celles de la hanche ou du genou, de la vésicule biliaire, des interventions vasculaires ou encore de l’appendicite.
Augmenter la charge de travail fait progresser de 7% le risque de mortalité du patient dans le mois qui suit son admission.
Ces données ont été recoupées avec les résultats d’une enquête réalisée en 2009-2010 auprès de 26 516 infirmiers qui évaluait leur charge de travail ainsi que leur niveau de formation.
Alors que la profession infirmièr(e) est durement touchée par une vague de suicides depuis le mois de juin, un rapport de l’Observatoire national des violences en santé (ONVS) publié en février 2016, fait état d’une hausse des violences en milieux hospitaliers. Ainsi, en 2014, l’année étudiée dans ce rapport, 337 établissements avaient signalé 14.502 cas de violences verbales ou physiques, contre 12.432 cas un an plus tôt. Les infirmièr(e)s arrivent en tête des violences subies, représentant 46% du personnel concerné.
Certaines organisations professionnelles n’ont pas tardé à prendre la parole, pointant le manque de moyens et l’absence de dispositif d’écoute psychologique dans ce secteur.
Il n’existait pas de code de déontologie des infirmiers. Un décret paru le 27 novembre 2016, au Journal officiel, comprend l’ensemble des droits et devoirs des plus de 600 000 infirmiers qui exercent en France. Il vient se substituer aux règles professionnelles qui figuraient dans le Code de la santé publique et qui n’avaient pas été modifiées depuis 1993. Une « modernisation » et « un enrichissement » des règles déontologiques, en matière de droit des patients, d’évolution des pratiques hospitalières ou encore d’élargissement du champ de compétences des infirmiers.
Les médecins :
Le taux de suicide chez les médecins est de 14% alors qu’il n’est que de 4% dans la population générale active. Environ un médecin sur trois est touché par la dépression. 40% des médecins sont en situation clinique proche du burn-out, principalement des médecins généralistes. Un sondage de 2007 évoque dans cet ordre les raisons de ce malaise : la dégradation de la relation médecin-malade, la dégradation de la qualité des soins et la diminution de l’accomplissement personnel.
Le médecin généraliste :
Seuls 12% des nouveaux inscrits à l’ordre exercent en libéral. Les “déserts médicaux” ne sont plus uniquement en zones rurales, de grandes agglomérations comme Paris ou Marseille ont vu leur nombre d’installation en très large baisse. (Source : Atlas de la démographie médicale en France, situation au 1er janvier 2014, conseil national de l’ordre des médecins.)
Les points anxiogènes dans l’exercice libéral :
- La tarification plafonnée : La tarification de 23€ la consultation de médecine générale est la plus basse d’Europe avec un taux d’imposition important. La moyenne européenne étant proche de 40 euros. Les médecins généralistes n’ont pas la faculté d’augmenter leurs honoraires. Le niveau d’équipement des cabinets de généralistes est faible comparé à leurs voisins européens.
- La protection sociale faible : un médecin malade a 90 jours de carence, contre 0 ou 3 jours dans la fonction publique ou le privé. Il doit continuer à payer les charges sociales, y compris pendant son arrêt et vivre sur ses économies.
- La charge de travail : Un médecin généraliste travaille en moyenne 56h par semaine. C’est à dire 60% de plus qu’un salarié du privé ou qu’un fonctionnaire à 35h. Lorsque l’on sait que 63% des internes qui terminent leurs études sont des femmes approchant la trentaine, on imagine aisément qu’elles aspirent à autre chose qu’une vie à travailler 10h par jour 6 jours sur 7.
- La charge de travail administratif très importante, environ 60% du temps professionnel est consacré à des consultations, le reste à l’administratif.
Fort de ce constat, beaucoup d’entre eux s’orientent vers une carrière dans des établissements de santé en tant que salariés ou partent à l’étranger.
Les établissements de santé :
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Hôpital, santé, patients et territoires de 2009, qui a renforcé le pouvoir des directeurs, il existe un management anxiogène qui sévit en toute impunité. A la faveur de pouvoirs excessifs dévolus à certains chefs de pôle, sur lesquels reposent des obligations de résultats, des abus de pouvoir conduisent à des suspensions arbitraires, des changements de poste soudains, voire des mises au placard. ( Me Christelle Mazza, spécialiste du harcèlement moral dans la fonction publique).
« Comme il est difficile de se séparer d’un médecin, on institutionnalise sa mise au placard et son harcèlement. » « Dans des situations impossibles à régler il y a souvent de mauvaises solutions qui sont trouvées car il n’y a pas de solution légale », reconnaît, de son côté, Martin Hirsch directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris qui admet des cas de médecins « placardisés ou suspendus pour des durées limitées »
Comme l’aborde très justement le Docteur Anne Florentin, médecin du travail à l’hôpital Robert Debré à AP-HP (collaboratrice du livre ” Burn out et épuisement professionnel des soignants ” aux éditions Masson).
« L’intensification du travail et le modèle managérial et organisationnel institué conduisent à une mobilisation totale de la personne où les compétences requises ne relèvent plus seulement des connaissances techniques et des savoir-faire mais où l’investissement attendu relève autant du savoir-être, ce qui engage la personnalité toute entière.
L’un des bénéfices de la prévention de la souffrance des personnels hospitaliers est donc de garantir une meilleure prise en charge des patients.
Un autre bénéfice est lié aux conséquences de la souffrance du personnel sur l’organisation du travail et le fonctionnement de l’hôpital et en particulier sur l’absentéisme répété de courte durée, le turn-over important, les accidents du travail, la dégradation du climat social, la mauvaise ambiance de travail, la démotivation du personnel, les plaintes pour violence qui sont autant d’indicateurs de souffrance du personnel. »
Suite au suicide du cardiologue Jean-Louis Mégnien en 2015, par défenestration sur son lieu de travail à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP) de Paris, le collectif mis en place pour « défendre sa mémoire » a rendu public ce 9 juin 2016, un manifeste pour lutter contre toute forme de harcèlement moral et de maltraitance au sein de l’hôpital. Présidée par le Pr Philippe Halimi, l’association* entend « tuer dans l’œuf » ces « pratiques dégradantes condamnées par la loi », qui touchent des médecins mais aussi des cadres et soignants à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) comme en province et souffrent trop souvent encore d’un déni terrible » de l’administration.
Les ARS et le CNG :
20% des cas de harcèlement au sein de la fonction publique concernent le seul secteur public de la santé.
Le 1er juin, la cour administrative d’appel de Paris a enjoint l’AP-HP d’accorder la protection fonctionnelle à une neurologue du service d’histologie-embryologie-cytogénétique de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne) et à lui verser 12 000 euros pour préjudices moral et de carrière.
Dans le collimateur de l’association Jean-Louis Mégnien, “les abus de pouvoir répétés émanant des directions hospitalières, relayés par les ARS et le Centre national de gestion (CNG)”, en pointant entre autres : des suspensions d’activité arbitraires sans contrôle ni limite de temps ; des rapports uniquement à charge pour discréditer et isoler la personne harcelée ; des propositions dégradantes et humiliantes pour le médecin mis en recherche d’affectation ; des procédures d’insuffisance professionnelle totalement injustifiées ; le non-respect de l’état de droit quand une décision de justice demandant la mise en œuvre de la protection fonctionnelle est ignorée des directions, de même quand la demande de réintégration d’un médecin suspendu à tort est contournée par des mutations, des fermetures d’unité, etc…
On retrouve les principales catégories de risques psychosociaux identifiés par les experts dans les témoignages des soignants : intensité du travail, manque d’autonomie et de marges de manœuvre, dégradation des rapports sociaux, des relations de travail, insécurité, conflits de valeur, etc.
La finalité, les suicides et tentatives se multiplient, s’ajoutant aux arrêts de travail pour dépression ou équivalents, aggravant la déshumanisation des services de nos établissements de santé, alors même qu’on leur demande de faire preuve d’empathie avec toujours moins de moyens, tant matériels qu’humains.
En 2015, l’ANACT (l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et HAS (Haute autorité de Santé) développe une réflexion sur la qualité de vie au travail en lien avec la qualité des soins.
En 2016, l’Agence régionale de santé (ARS) Provence-Alpes-Côte d’Azur a déployé un projet innovant et fédérateur, piloté par le Ministère de la santé, visant à terme, à proposer un référentiel de QVT commun aux établissements de santé, en garantissant la qualité de vie au travail du personnel hospitalier et la sécurité des patients, tout en améliorant la performance des établissements.
De toute évidence, la volonté d’améliorer les conditions de travail dans les établissements de santé existe, mais elle n’est pas encore généralisée et adoptée au sein de ces organes.
Article rédigé par
Anne RICHARD
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