Entre le néologisme issu du nom de l’entreprise de VTC et la science-fiction qui depuis 1920 voit la machine se substituer à l’homme, les médias s’en donnent à cœur joie en parlant d’uberisation. Une vision futuriste du travail qui possède autant de nuances que de détracteurs.
Qu’est-ce que l’uberisation ?
Depuis son lancement en 2009, le service de VTC Uber s’est imposé à travers le monde comme une alternative aux taxis, mais pas uniquement, il a aussi bouleversé tout un modèle économique.
Le patron de Publicis, Maurice Levy explique dans une interview au Financial Times en 2014, « que ses clients sont très inquiets de voir leur activité historique soudainement disparaître, victime du « tsunami numérique ». Tout le monde commence à craindre de se faire Uberiser. ».
Le néologisme « uberisation » est né.
À l’instar de Google qui a un verbe pour la recherche en ligne « Googliser », Uber est devenu le symbole d’une nouvelle génération d’entreprises innovantes. D’après Bruno Teboul, auteur du livre Ubérisation = économie déchirée, « L’ubérisation est un néologisme qui peut s’utiliser pour décrire comment une start-up à travers une plateforme numérique permet de mettre en relation les entreprises et ses clients »
A en écouter certain tout est ubérisable, ou en passe de l’être. Presque tous les secteurs d’activité seraient affectés.
L’uberisation se résumerait à une transformation rapide, permettant de concurrencer les plus grands dans leurs secteurs d’activité et cela dans l’intérêt du consommateur.
Pour l’observatoire de l’uberisation, né d’une initiative de la Fédération des Auto-entrepreneurs, l’uberisation s’appuie sur la convergence de trois phénomènes simultanés, arrivés à maturité, à savoir :
- « L’innovation numérique et les nouvelles technologies sont désormais maîtrisées par de nombreuses entreprises. »
- « Le consommateur recherche un meilleur service, c’est à dire un service plus rapide, plus ergonomique, plus économique. »
- « Le travail “par missions”, la prestation temporaire. »
L’uberisation c’est « un changement rapide des rapports de force grâce au numérique ».
Les métiers « uberisés » :
- Taxis 70%
- Services à la personne 70%
- Location 70%
- Education 70%
- Librairies 60%
- Hôtels 50%
- Experts comptables 40%
- Banques 40%
- Restaurants 30%
- Services publiques 30%
- Santé 30%
- Avocats 30%
- Stockage 30%
- Bâtiment 20%
Les services offerts par l’uberisation ne nécessitant pas d’investissement, réduisent d’autant les couts de fonctionnement par rapport à une entreprise traditionnelle.
L’économie collaborative
Le terme « économie collaborative » désigne des modèles économiques où des plateformes collaboratives qui créent un marché ouvert pour l’utilisation temporaire de biens et de services souvent produits ou fournis par des personnes privées.
Dans une note de communication datant de juin 2016, la Commission Européenne dit que « L’économie collaborative crée des possibilités nouvelles pour les consommateurs et les entrepreneurs. Pour autant qu’elle soit encouragée et développée d’une manière responsable, l’économie collaborative est en mesure de contribuer d’une manière importante à la croissance et à l’emploi au sein de l’Union européenne.
Elle peut aussi promouvoir un partage plus important des actifs et une meilleure utilisation des ressources, ce qui peut contribuer à la stratégie de développement durable de l’UE et à la transition vers l’économie circulaire. »
Pour autant, « l’économie collaborative soulève souvent des questions sur l’application des cadres juridiques existants, brouillant ainsi les limites entre consommateurs et fournisseurs, salariés et travailleurs indépendants, ou encore entre fourniture professionnelle et non professionnelle de services. »
Le Conseil d’État a, quant à lui, déjà dédié 3 études à ce sujet
- 1998, Internet et les réseaux numériques,
- 2014, La protection des droits fondamentaux à l’ère du numérique,
- 2017, « Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’«ubérisation» », qui s’intéresse de nouveau aux évolutions et bouleversements qui sont la conséquence de ce phénomène.
A la lecture de cette dernière étude, il ressort que :
- Le droit social peine à saisir le régime juridique des travailleurs des plateformes placés dans des situations incertaines et parfois défavorables. Pour autant il n’apparait pas nécessaire de créer un droit nouveau pour réguler leur fonctionnement mais des adaptations sont nécessaires.
- La nature a-territorial d’internet et des plateformes numériques doit être réfléchis au niveau international.
- Les pouvoirs publics sont concurrencés dans certains domaines, mais ne risque pas pour autant de disparaître car ils sont en charge d’assurer la régulation de l’activité notamment par la définition d’un socle de principes et de règles indérogeables comme, la garantie des droits fondamentaux des personnes, la protection des droits essentiels des travailleurs, la sauvegarde de certains intérêts collectifs ainsi que la fiabilité et la sécurité des transactions effectuées sur les plateformes numériques.
- L’économie en réseau de ces plateformes, basée sur des objectifs économiques et capitalistiques, est source d’opportunités, individuelles et collectives correspondant à des aspirations sociales grandissantes de partage. Ce qui tranche totalement avec la notion communément répandue jusqu’à lors d’une économie dite « industrielle » basée sur une organisation pyramidale des échanges, en silo et hiérarchique.
- L’« économie du partage » permet de :
- Nouvelles formes d’autonomie et de gestion du temps de travail un nouveau cadre de l’activité professionnelle.
- L’ouverture d’un marché du travail « à la demande » qui a constitué, pour certains, une réponse à la crise économique
- De nouvelles lignes de fracture :
- Formes de travail ou de relations sociales choisies mais également subies,
- Suppression des intermédiaires de l’économie traditionnelle,
- Aggravation des inégalités d’accès aux nouvelles technologies,
- Nouvelles féodalités qui seraient la conséquence du déclin de l’autorité publique et d’une autorité centrale affaiblie.
Le travail sous l’angle de l’ubérisation
En mars 2017, l’Observatoire des inégalités recensait en France, « 2,9 millions de chômeurs, 3,4 millions de travailleurs précaires : principalement des personnes en intérim ou en contrat à durée déterminée, que ce soit dans le secteur privé comme dans celui du public, très friand lui aussi de précarité, 1,4 million de découragés, qui ne recherchent plus activement un travail tant la situation est dégradée. On aboutit à un total de près de huit millions de personnes, soit un quart du total des actifs. »
L’uberisation des métiers pourrait être une solution pour bon nombre d’entre eux mais à quel prix ?
Le développement de l’économie collaborative instaure un statut hybride du prestataire souvent économiquement dépendants de ces plateformes qui décident seules des tarifs et des conditions de travail.
- La frontière entre activité professionnelle et non professionnelle, entre salariat et travail indépendant reste floue :
- Les rémunérations restent souvent en deca du SMIC
- Aucun des avantages accordés aux salariés (convention collective, salaire minimum, temps de travail, sécurité et pénibilité au travail…) n’existe.
- Précarité de la protection sociale
Pour perdurer l’économie collaborative se devait de s’inscrire dans une logique de responsabilité sociale et sociétale qui lui faisait cruellement défaut.
Depuis 2016, la loi travail, aide fortement cette nouvelle économie en lui imposant :
- La prise en charge de la cotisation accidents du travail
- La contribution à la formation professionnelle des prestataires qu’elles emploient, ces derniers devant souscrire à l’assurance volontaire en matière d’accidents du travail,
- Reconnaissance du droit de grève,
- La validation des acquis de l’expérience
Il reste tout de même à clarifier le statut de salarié et de travailleur indépendant. La définition même de salarié n’existant dans le code du travail, seule actuellement fait foi, la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considère que « le salarié est celui qui accomplit un travail pour le compte et sous l’autorité d’un employeur qui à pouvoir de lui donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution de son travail et de sanctionner ses éventuels manquements ». Ce flou juridique a donné lieu à un nombre important d’actions en justice visant à faire requalifier les contrats de prestation de services en contrats de travail.
En février 2015, l’Organisation internationale du travail a tenu une réunion tripartite d’experts sur les formes atypiques d’emploi afin de concevoir des solutions politiques pour remédier aux déficits de travail décent, que sont les formes d’emploi atypiques afin de mettre en oeuvre de mesures visant à remédier :
- Aux conditions de travail,
- Soutenir les transitions efficaces sur le marché du travail,
- Promouvoir l’égalité et la non-discrimination,
- Assurer une couverture de sécurité sociale adéquate pour tous, promouvoir lieux de travail sains,
- Garantir la liberté d’association et les droits de négociation collective,
- Améliorer l’inspection du travail,
- Remédier aux formes d’emploi hautement précaires qui ne respectent les droits fondamentaux au travail.
L’organisation internationale du travail (OIT) estime dans son rapport, qu’il est “nécessaire d’améliorer la qualité des emplois dits « atypiques » (travail à temps partiel, travail intérimaire, sous-traitance, auto-entrepreneuriat et relations de travail déguisées…) par des réformes au niveau réglementaire” car ces métiers sont source d’une plus grande insécurité pour les travailleurs et peuvent avoir des conséquences potentiellement graves pour leur santé :
- Des horaires plus longs, souvent décalés en nuit ou week-end.
- Pression pour répondre au flux tendu des demandes,
- Un stress plus élevé
- Une augmentation des accidents professionnels
L’OIT propose quelques pistes de recommandations :
- « Mettre en place une politique qui assure une égalité de traitement entre les travailleurs quel que soit leur arrangement contractuel.
- Restreindre certains usages d’emploi atypique pour éviter les pratiques abusives.
- L’accès à la protection sociale, doit être assouplie en ce qui concerne les cotisations requises pour être éligible aux prestations. »
Fin septembre 2017, Uber se voit notifié le retrait de sa licence d’exploitation par l’autorité « Transport for London » (TFL) au motif que la compagnie n’est pas un opérateur de location de voiture privée « convenable ».
La TFL dénonce des failles en matière de sûreté et de sécurité, « comme un manque de fiabilité des certificats médicaux, de mauvaises vérifications des casiers judiciaires, l’utilisation d’un logiciel permettant aux chauffeurs de ne pas se faire repérer quand ils exercent dans des lieux interdits… » en d’autres termes, un défaut de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Pour mémoire, la RSE regroupe l’ensemble des pratiques mises en place par les entreprises dans le but de respecter les principes du développement durable (social, environnemental et économique).
Une action qui devrait faire « droit » auprès de bons nombres de plateformes collaboratives.
La RSE, une arme à l’adresse des grands groupes pour les sauver de l’ubérisation et leur permettre la reconquête des territoires qui leurs semblaient perdus d’avance.
Le développement de l’économie collaborative n’étant pas près de s’arrêter, les entreprises se doivent de repenser fondamentalement leurs métiers, en investissant sur ces nouveaux modes de consommation tout en pérennisant leurs métiers actuels notamment en s’installant au plus près de leurs clients, ce qui devrait permettre de les fidéliser et ainsi contribuer durablement à la croissance. Mais pas que… l’investissement premier, doit porter sur les collaborateurs de ces entreprises en leur redonnant le plaisir et l’envie de travailler…bien et ainsi donner aux clients l’envie de revenir.
Article rédigé par
Anne RICHARD
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